dimanche 15 novembre 2015

ÉTUDE DE CAS #2 : Le genre du témoignage et son rapport à la fiction

Avant de commencer : cet article a été pré-écrit avant les attentats de vendredi. Je me rends compte que certains mots peuvent aujourd'hui résonner différemment. Je n'en ai cependant pas changé un. C'est toujours que je pense, et je n'ai pas l'intention de m'auto-censurer pour quelque raison. Cela ne change rien à ce que j'ai écrit hier

Au pays des Books Addicts, parfois, surviennent les pannes de lectures. On essaye de commencer 25 milliards de livres qu'on abandonne tous au bout de quelques pages. ET CA NOUS REND TARÉ.

Moi, en tout cas, ça m'a rendu tarée. 

Ce que j'ai en ce moment, c'est surtout une panne de lecture de romans. J'en ai quelques vieux qui trainent dans ma PAL depuis un moment, mais rien qui me transcende au point de me jeter dessus. Comme mon budget actuel est entièrement consacré à Noël, je ne suis pas bien sûre que ce soit amené à changer dans un futur immédiat, MAIS BON. Ce n'est pas le sujet. 

témoignages faits réels fiction

Outre les recherches et les lectures annexes que je mène dans le cadre de l'écriture d'un roman, je me suis plus souvent trouvée avec des témoignages dans les mains que tout autre chose. Ce qui est très inhabituel pour moi, au cas où ça vous aurait échappé.

J'ai donc lu 12 Years a Slave de Solomon Northup (oui c'était un livre passé un peu inaperçu avant d'être un film à succès) et Violentée de Cathy Glass. Forcément, étant moi, je me suis posée des questions que je vous confie ci-dessous. 

12 Years a Slave Solomon Northup livre
4ème de couv' : "Je suis né libre et j'ai vécu avec ma famille jusqu'au jour où deux hommes m'ont drogué, séquestré et vendu comme esclave. Pendant douze ans, j'ai connu la servitude et l'humiliation. Dormant à même le sol, affamé, fouétté, j'ai failli sombrer dans le folie... mais je n'ai jamais laissé la cruauté me briser.

Depuis ma libération, des romans se sont intéressés à l'esclavage, et ont connu une diffusion sans précédent. Je partage dans ces pages mon expérience personnelle. Mon objectif est d'en faire un récit sincère et fidèle, et laisse aux autre le soin de décide ce qui, de la fiction ou de la réalité, donne l'image de l'injustice la plus cruelle ou de l'aliénation la plus sévère."

12 Years A Slave - Solomon Northup 

J'ai trouvé 12 Years a Slave très factuel et, en ça, très instructif et intéressant. À moins de se spécialiser dans cette partie de l'histoire pour ces études supérieures, l'esclavage est un sujet dont on entend bien peu parler au cours de sa scolarité.
En dépit de l'inhumanité de la réalité, le propos de Solomon Northup est à mon sens resté d'une pudeur déconcertante. Pas de désir de sensationnalisme, peu de prise de position sur la question de l'esclavage, l'auteur ne raconte que ce qu'il sait être vrai ou ces certitudes sur la condition. Pour le reste, il nous renvoie à nos propres croyances, nos convictions et notre humanité. Il n'y a pas de leçons de morale, pas de misérabilisme. Juste des faits dont on est libre de penser ce qu'on veut. Cette lecture a été très déconcertante parce que je n'étais ni émue, ni bouleversée en la terminant.
Je n'ai pas encore vu l'adaptation cinématographique mais, évidemment, j'en ai entendu les échos. L'émotion et les claques que le film a suscité pour une majorité de personnes. Je suis encore en train de me demander si c'est juste moi qui suis insensible ou si, pour le cinéma, l'histoire a fait fi de cette retenue pour verser dans le larmoyant. Vous aurez probablement un update une fois que j'aurais tranché la question.


Violentée Cathy Glass
4ème de couv' : Lorsque Cathy se voit confier la garde de Jodie, 8 ans, elle ignore qu'elle va être confrontée au cas le plus difficile de sa carrière.
Agressive envers elle-même et son entourage, Jodie a déjà séjourné dans plusieurs familles, qui ont toutes baissé les bras. Elle souffre en effet de dédoublement de personnalité, un trouble psychologique grave.
Quels sévices ses parents lui ont-ils donc fait subir pour qu'elle en soit arrivée là? Cathy est decidée à tout pour le savoir. Peu à peu, à force de persévérance, Jodie se met à parler...

Violentée - Cathy Glass 

Le deuxième témoignage que j'ai lu est Violentée de Cathy Glass. Sans doute moins connu en France, il est le récit de Jodie, raconté par Cathy, mère d'accueil depuis 25 ans.
Comme pour le livre précédent, l'horreur de sa situation ne fait aucun doute ni débat. Je ne vais pas en dire plus ici puisqu'on en apprend la nature et le contexte au fur et à mesure des pages.
La question que je me suis surtout posée vis-à-vis de Violentée est de savoir si c'était la place de Cathy Glass de raconter une histoire qui n'était pas vraiment la sienne. Évidemment, tous les éléments susceptibles d'être reconnus ont été modifiés. Évidemment aussi, l'auteur ne parle que de son point de vue et d'après son expérience. Je veux bien parier sur les bonnes intentions, sur les seuls buts de sensibiliser à la maltraitance infantile et dénoncer le fonctionnement absurde et compliqué de l'institution.
Cependant, et comme je suis cynique de nature, je suis toujours septique face aux démarches altruistes. Je me demande surtout si quelqu'un a demandé son avis à cette petite qui ne s'appelle pas vraiment Jodie. Si elle aurait été d'accord qu'on utilise son histoire pour écrire un bouquin, si elle aurait vraiment eu envie que des milliers de personnes à travers le monde sachent simplement. Ça me gêne de retirer à quelqu'un les droits sur son passé, d'autant plus quand cette personne n'a pas eu beaucoup de droits sur quoi que ce soit durant sa vie.


Bilan !

Après réflexion sur ces deux lectures, les conclusions que j'ai tirées sont que, mes réserves ne viennent pas tant de la nature du témoignage que de mon rapport au récit fictif.

Vous avez sûrement déjà entendu des adultes affirmer toujours croire au Père Noël et à la magie de Noël. Et personne n'a oublié cette célèbre phrase de Dumbledore :
"Bien sûr que ça se passe dans ta tête, Harry, mais pourquoi faudrait-il en conclure que cela n'est pas réel?" - Harry Potter et les Reliques de la Mort. 
J'ai un peu ce même rapport à la fiction. Pour peu qu'il vive dans ma tête, le récit fictif (qu'il provienne d'un livre, d'une série TV ou d'un film) devient réel. La plus-value "faits réels" du témoignage n'a donc pas d'impact sur mon ressenti. Plus que ça, la réalité établie de la situation me donne l'impression d'être privée d'une partie de ma liberté de ressentir.
Dans un témoignage, ma conscience m'empêche de considérer comme un crétin l'orphelin sans le sou exploité dans une mine de charbon, même si c'est effectivement un crétin. De même, j'aurais du mal à compatir avec le bourreau, le serial killer etc. Si ça s'est réellement passé, si des gens ont souffert et si je possède un fond humain (malgré mes efforts répétés pour le cacher), je n'ai à priori pas beaucoup de choix. Et je fais rarement preuve d'une très grande compassion quand elle me semble imposée (même si ce n'est que par ma conscience et mon humanité). Pour mes lectures, je préfère largement avoir la possibilité de me dire que Harry Potter est un idiot et que je me retrouve dans certains aspects de Voldemort. 

Pour revenir sur la question de la légitimité et du droit à raconter une histoire qui n'est pas la sienne, je crois qu'une certaine partie de la réponse se trouve aussi dans la fiction. Parce qu'elle n'a pas vocation à dire la réalité, les histoires que racontent la fiction n'appartiennent à personne. Elle peut toujours raconter l'histoire, le passé, le présent de quelqu'un qui a véritablement existé mais, à partir du moment la réalité des choses n'est pas annoncée et, de fait, que tout est susceptible d'être modifié et donc fictif, elle ne concerne plus l'individu d'inspiration.


Ce n'est peut-être logique que pour moi, mais je voulais partager ce rapport entre témoignage réel et roman de fiction qui ne me semble pas inintéressant. En faire un article construit et écrit pour une lecture publique m'aura au moins permis d'y voir plus clair dans ces hypothèses et théories qui tournaient dans ma tête depuis quelques semaines. 
Poursuivez la discussion en me disant ce que vous en pensez, si vous lisez des témoignages, si vous êtes plus à l'aise avec la fiction, tout ça! Vous savez que j'adore lire vos réactions ;-).



xoxo
Lily

2 commentaires:

  1. C'est super intéressant ( et pas seulement parce que je bosse sur l'autobiographie/le témoignage fiction etc avec les 3ème chéris).

    Justement, alors que j'aime que le roman soit inscrit dans le réel géographique (j'adore reconnaître des lieux ou des monuments ou quoi), je n'aime pas qu'il soit ancré dans un réel historique, factuel. Cela me dérange, car, je ne sais pas franchement discerné ce qui est le vrai du faux. Et d'autre part, j'ai du mal à prendre de la distance, à me placer face à ce genre de texte notamment à cause de cette "obligation" de contrainte émotionnelle.

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    1. Merci pour ton avis! Je n’ai pas réfléchi à la question de la réalité géographique mais c’est un point intéressant. Peut-être l’objet d’un prochain article ;-)

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